PREAMBULE
Au cours des années 1980, les deux auteurs de cet ouvrage, l'un iranien, l'autre français, déjeunaient ensemble les mercredis après leurs cours dans une faculté parisienne. De leurs conversations sont nées trois idées de biographies. La première sur Shah Abbas le Grand (1587-1629), cinquième Shah-in-Shah de la dynastie safavide : éditée en 1998 par les éditions Perrin, elle a été couronnée par l'Académie française l'année suivante. La deuxième sur Nader Shah, « le dernier conquérant asiatique » (1736-1747), non écrite à ce jour. La troisième enfin, sur le « dernier shah d'Iran », Mohammad Réza Pahlavi, dont le règne a débouché sur la Révolution.
Après plusieurs années d'intense activité, le dernier projet a été remis à l'ordre du jour grâce au directeur des éditions Perrin, conscient qu'une meilleure compréhension de l'histoire contemporaine se révèle indispensable pour mieux cerner deux problèmes géopolitiques cardinaux du XXIe siècle : le contrôle des sources d'énergie et l'émergence de l'islamisme radical.
Certes, les biographies relatives à Mohammad Réza Pahlavi ne manquent pas. A côté des Mémoires du Shah, de Soraya et de la Shahbanou, de nombreux hommes politiques, analystes, historiens, journalistes et intellectuels se sont lancés dans l'aventure de l'écriture avec plus ou moins de distance par rapport à une histoire passionnée et tragique.
Avec le recul nécessaire à une telle entreprise, il nous a semblé qu'il était temps à présent de reconsidérer, à la lumière des archives récemment ouvertes – documents diplomatiques et archives, surtout américains – et des Mémoires parus parfois après la mort de leurs auteurs, un personnage si controversé, défendu âprement par les uns, traité de dictateur par les autres.
D'où cet ouvrage qui mêle deux voix celle d'un témoin direct des événements, au cœur de la politique iranienne puis des tourmentes qui ont provoqué la chute, et celle d'un observateur français, trop jeune pour avoir vécu de l'intérieur ces événements, mais assez âgé pour confronter les sources diverses et rendre abordable pour un lectorat parfois néophyte une histoire souvent complexe.
Le règne de Mohammad Réza Pahlavi est en effet le reflet d'une histoire sur laquelle pèse le poids d'un passé peu connu des Occidentaux, les usages parfois déroutants d'une cour orientale tentée par l'Occident, les pressions d'un clergé chi'ite vigilant avant d'être révolutionnaire, les espoirs d'une population qui aspire à participer à l'enrichissement national... et les ambitions d'un Shah de faire de son pays la cinquième puissance mondiale.
Comment ont réagi les Occidentaux face à ce monarque marquant peu à peu son autorité, cautionnant une hausse très importante du prix du pétrole qui les a déstabilisés et désireux d'ouvrir la voie à des pays du Tiers monde, soudainement projetés par leurs ressources naturelles au-devant de l'actualité ? Comment les forces traditionnelles et le peuple iraniens ont- ils vécu la transformation profonde et brutale de leur pays et de leur mode de vie ? C'est ce que cet ouvrage se propose d'explorer au travers de la vie publique et privée d'un homme, le « dernier Shah d'Iran », adulé puis critiqué avant de devenir cet empereur errant en quête d'une terre où mourir. Un destin hors du commun dont l'histoire n'a pas fini de dévoiler les arcanes.
Pour les auteurs, il ne s'agit pas de justifier une politique, de brosser un portrait hagiographique ou polémique du Shah d'Iran, mais plutôt de donner au lecteur les éléments de compréhension afin qu'il forge son jugement sur des faits resitués dans leur contexte. C'est pourquoi ils ont voulu revenir d'abord sur les apports successifs des Qâdjârs, la dynastie précédente, et sur l'œuvre de Réza Shah, le père de Mohammad Réza Pahlavi, afin d'éclairer les choix du dernier Shah et les obstacles qu'il a dû affronter. C'est aussi à une rencontre avec Davar, Foroughi, Ghavam, Mossadegh, Saèd, Razmara, Zahédi, Mansour..., ces grands Iraniens qui ont marqué le siècle précédent, et avec Fawzieh, Soraya, Farah, ces impératrices qui ont successivement accompagné le Shah et fait rêver les magazines, que le lecteur est aujourd'hui convié. Ainsi, à une simple chronologie du règne, se superposeront divers focus transversaux et synthétiques sur telle personnalité ou telle institution.
Pour y parvenir, le coauteur iranien n'a cessé, au cours de trois décennies, de prendre des notes, de rassembler une documentation importante souvent contradictoire sur la Révolution iranienne et l'islamisme radical, de recueillir les témoignages des acteurs ou observateurs iraniens sur la vie du Shah et sa politique. Il a ainsi constitué une base documentaire, entre autres en langue persane, à laquelle la plupart des commentateurs occidentaux n'ont pas accès, bien qu'ils écrivent sur l'Iran impérial. Le coauteur français, spécialiste d'histoire des religions orientales, passionné d'Iran, est allé dans ce pays lors d'un voyage quasi initiatique, a visité les lieux où Mohammad Réza Pahlavi a vécu, s'est passionné pour l'étude du chi'isme, du zoroastrisme, du baha'isme, a observé la vague révolutionnaire, ses hauts et ses bas. Ne connaissant pas le persan, il a travaillé sur les sources en français, anglais et espagnol, ainsi que sur les documents audiovisuels, complétant ainsi cette inestimable documentation. De ce fait, son esprit parfois plus distancié, sceptique et critique s'est aisément conjugué au souci de mémoire, de fidélité aux faits du coauteur iranien, attaché à la lucidité de l'universitaire qu'il est toujours, dans un dialogue fructueux entre l'Orient et l'Occident.
Trente-trois ans après la fin du règne de Mohammad Réza Pahlavi, les passions relatives à sa personne et à son règne se sont peu à peu estompées au profit d'une certaine objectivité historique, rendue possible par la communication d'archives publiques et privées. Aussi les auteurs tiennent-ils à exprimer leur profonde gratitude à tous ceux et celles dont les témoignages, les récits et les documents ont servi à leurs recherches.
